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Analyse de "La sociologie de la lecture" de Claude Poissenot

Publié par Nik'talope

Pour mon cours de sociologie de la culture, j'ai dû faire un oral sur "La sociologie de la lecture" de Claude Poissenot. Tout comme j'ai partagé mon oral sur "Océan Mer" de Alessandro Baricco, aujourd'hui je vous partage cette analyse ! 😉

 

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Sociologie de la lecture de Claude Poissenot, Armand Colin (Cursus), 2019, 190 pages

 

La sociologie de la lecture de Claude Poissenot fut pour moi un choix évident parmi les œuvres proposées : j’ai énormément de difficulté à lire des ouvrages qui n’attisent pas au moins ma curiosité et qui sont purement informatifs, j’ai néanmoins réussi à lire ce livre et à dégager quelques informations. Aussi, il était évident pour moi de traiter ce sujet puisque je suis dans un DUT Métiers du livre et que ce serait pour moi une source en plus dans ma culture littéraire.

La sociologie de la lecture est éditée par Armand Colin dans la collection Cursus en 2019 et écrit par Claude Poissenot, un professeur de sociologie à l’IUT Charlemagne à Nancy. Il est notamment connu pour ses travaux sur le développement des bibliothèques et pour son plaidoyer pour la « nouvelle bibliothèque », considérant que la bibliothèque est un élément phare de la société digitale du 21e siècle.

Dans ce livre donc, il ne traite pas exactement du même sujet, pas dans cet angle du moins. Bien que les bibliothèques soient évoquées, il nous évoque ici plus les lecteurs que le lieu de lecture. À travers des analyses, des études et des statistiques, Poissenot nous parle de la population selon ses habitudes de lecture tout en ayant un regard analytique de la culture, de l’éducation mais aussi de la politique.

Problématique

Dans les remerciements déjà, Poissenot définit la lecture comme l’écriture : ce sont toutes deux généralement des pratiques désocialisées ; en revanche le livre reste une œuvre collective, puisqu’une équipe complète à participé à sa création physique même si c’est originellement un travail solitaire.

Une problématique générale se dégage : « Qui sont les lecteurs et quelles sont les différences dans leurs pratiques ? »

Le livre est divisé en trois grands chapitres, eux-mêmes composés de parties et de sous-parties.

Chapitre 1

Nous avons dans la première partie la question « Qu’est-ce que la lecture ? », à laquelle Poissenot nous répond à travers une étude de l’individu, de sa pratique de lecture selon la société, selon la culture, selon l’éducation et selon la génération quelle soit humaine ou technique. Nous observons ici l’évolution de la lecture. Comme l’explique l’auteur dans son introduction de la première partie, saisir les phénomènes sociaux revient à analyser la façon dont les individus les pratiquent, et décortiquer les constructions sociales. En fonction de leur structure ou appartenance sociale, les gens ne perçoivent pas les phénomènes sociaux de la même manière, d’une classe à une autre ils ne seront pas identiques. Selon leur éducation, selon leur culture, leur milieu, leur profession, ils n’auront pas la même vision du phénomène social ni la même définition.

La définition de la lecture est impossible à fixer, puisqu’elle est évolutive. La société pense qu’elle est en voie d’extinction alors qu’elle est sans cesse en expansion.

Le premier chapitre, par différents angles et sujets, traite de la censure du livre et la controverse des thèmes qu’il aborde tout en nous faisant un court historique de la pratique de la lecture, en partant du 17e siècle jusqu’au 20e, où l’alphabétisation prend place et la censure en est le roi. Censure qui justement est initialement mise en place dans l’optique de contrôler les idées politiques d’une bourgeoisie montante, la presse était sous liberté surveillée et l’éducation nationale s’évertuant à garder un contrôle sur la pratique de plus en plus populaire de la lecture en orientant les lectures et en proscrivant les lectures dites « mauvaises ». L’alphabétisation avait pour premier but d’uniformiser la langue française en retirant les patois régionaux et ainsi offrir aux français un moyen d’accès aux sciences et à l’universel. Mais la lecture est perçue comme une pratique néfaste, favorisant l’oisiveté tout comme la perte du sens du réel, amenant donc à une solitude ou à la folie. Elle était vue comme un signe de paresse et une chose chronophage alors qu’il y avait tant à faire, l’Eglise aussi la voit comme subversive. C’est au début du 20e siècle que la littérature, et surtout la presse, gagne en popularité et devient un média de masse ainsi qu’un acteur de la vie politique, intellectuelle et culturelle.

Dans les faits, le décalage entre la réalité et la perception de ce qu'est l'illettrisme, alors que l'alphabétisation n'a fait que croître au cours du 20e est un problème de définition. Savoir lire n’est plus question d’être en capacité d’oraliser un texte mais d’être capable de le comprendre, tout comme savoir écrire ne correspond plus à la capacité à recopier mais à celle de rédiger un texte aujourd’hui. On est passé de critères faciles à atteindre à d'autres qui demandent un apprentissage sans fin. La définition de l'illettrisme repose sur des compétences scolaires, le système scolaire fonctionne en produisant une hiérarchie par le classement des élèves. En voulant lutter contre l'illettrisme et donc en le nommant, l'État a stigmatisé une partie de la population alors que son projet partait d'une bonne intention. L’illettrisme d’aujourd’hui vient à blâmer les individus n’ayant pas la capacité de lire, certes, mais aussi l’incapacité de comprendre un texte ou d’en rédiger un, des capacités qui sont de nos jours indispensables en tant que citoyen.

Pourtant, il y a un net affaiblissement de la pratique de la culture littéraire, ce qui inquiète une part de la population. Car d’une part institutionnelle elle se fait moins fréquente, mais surtout d’une part personnelle l’initiative de la lecture se fait de plus en plus rare. La lecture est un plaisir qui se découvre au plus jeune âge, et les probabilités pour que cet intérêt naisse une fois adulte est faible, ce qui ne signifie pas que le livre est voué à la disparition. La lecture numérique prend le pas sur la lecture « classique », sur le papier, physique. La lecture prend une nouvelle forme, qui s’adapte avec les générations naissantes et à venir.

Chapitre 2

Le deuxième chapitre s’oriente plus sur la différenciation sociale de la pratique de la lecture. La lecture veut universaliser sa pratique et s’ouvre à tous. Bien que d’un individu à l’autre, les habitudes et choix de lectures diffèrent selon différents critères (appartenance sociale surtout) : la lecture n’échappe pas au processus de différenciation sociale.

La génération Z n’est pas très axée sur la pratique de la lecture, ce qui représente un sujet d’inquiétude, et ce qui prime aujourd’hui sont les sciences et les mathématiques. Pourtant, le livre entre dès la tranche d’âge de 3 à 6 ans, en concurrence avec d’autres médias majoritairement numériques (tels que les DVD, les livres audios, les nouvelles technologies, etc.). C'est durant l'enfance que s'acquiert la familiarité avec le livre et la lecture. Le fait d'avoir eu au moins un parent lecteur régulier augmente sensiblement la probabilité de le devenir soi-même. C’est dès cet âge que les pratiques de lectures se forgent, tout comme l’adulte en devenir l’enfance créé le lecteur en devenir.

L’appartenance sociale n’est pas le seul facteur de la pratique littéraire : une enquête menée en 1973 montrait que 72% des hommes lisaient contre 68% des femmes, alors qu’autrefois cette pratique était très largement masculine. Après s'être équilibrée, la situation s'est inversée. Toutefois cela dépend du support. Les hommes sont légèrement plus nombreux à lire la presse quotidienne. Étrangement, alors que l'enquête IPSOS montre que les parents incitent les garçons à lire pour 70%, car ils anticipent un décrochage scolaire, contre 60% pour les filles. Les hommes entretiennent un rapport largement instrumental au livre comme support de connaissances. À l'inverse, les femmes mettent en avant la fonction d'évasion ou de détente, sensiblement plus que les hommes. Les femmes se montrent plus éclectiques que les hommes du point de vue des types de livres lus. Historiquement, l'alphabétisation a commencé par les garçons en 1833, contre 1867 pour les filles. Le développement de la lecture de livres chez les femmes apparaît donc comme la conséquence du progrès de leur scolarisation. L'investissement objectif et subjectif des femmes dans l'École prend sa source dans la conscience plus ou moins aigüe des enjeux qu'elles représentent dans le mouvement qui consiste à s'approprier leur destin. Elles veulent construire leur propre identité par leurs choix personnels en se donnant les moyens économiques de leur autonomie.

Et enfin, selon les hiérarchisations sociales, bien évidemment, les pratiques de lecture diffèrent énormément, selon les revenus, les métiers et la masse de temps libre. Les inégalités ne concernent pas que le salaire, la mutuelle, la sécurité de l’emploi et les conditions de travail, elles touchent aussi les loisirs. Dès l’enfance, les individus sont orientés par la place sociale de leurs parents ou représentants légaux : lisent-ils des livres ou des magazines ? lisent-ils au moins ou favorisent-ils le visionnage de la télévision ? Les personnes pratiquant une profession intellectuelle ou libérale sont plus susceptibles de pratiquer la lecture que des ouvriers ou des agriculteurs. L’environnement familiale pose des bases de lecture dès l’enfance, et chez les adultes le cadre professionnel impose un certain rythme de vie ne permettant pas cette pratique régulière. Aussi, les types de lectures divergent selon ces mêmes cadres, ainsi un individu de la classe moyenne sera moins enclin à lire des livres d’arts, scientifiques ou des classiques qu’un individu de la classe supérieure.

Chapitre 3

Une nouvelle question se pose dans ce troisième chapitre : « Quel est le sens de la lecture, son contenu ? ». Plutôt que de parler du symbole de la pratique de la lecture et de l’objet, nous abordons la dimension de la signification, du sens. De quelle façon se construit la relation entre le lecteur et la lecture. Après avoir abordé l’extérieur de la chose, nous alors inspecter en profondeur. Le sens d’une lecture se fait par la rencontre entre l’individu socialisé et le symbole, créant l’interprétation avec le déchiffrage.

Le fait de partager des connaissances et des références nous permettent de partager une compréhension relativement commune, un sens plus ou moins commun, tout en conservant une part d’interprétation purement personnelle, individuelle. Les références les plus fréquentes et partagées proviennent – et ce de plus en plus – de la société contemporaine comme la télévision, les réseaux sociaux, la culture cinématographique ou simplement Internet.

Le livre évolue avec son public : il se modernise, change de support pour privilégier le numérique au détriment du papier. La lecture est toujours inscrite dans l’actualité et même chez les nouvelles générations, mais son approche n’est plus la même, elle s’adapte à son époque. Bien que la lecture semble propre au support papier et à aucun autre support, elle semble s’être libérée de cette emprise pour partager son média avec d’autre plus modernes. Mais c’est particulièrement le rapport à l’écrit qui semble avoir provoqué cette mutation ; l’écrit n’est plus figé, il est sans cesse en mouvement aujourd’hui, rendant l’écriture plus malléable, plus souple et plus libre. L’évolution de l’écrit, du livre et de la lecture ouvrent de nouvelles références.

Les mangas par exemple ou et les littératures de l'imaginaire ont leurs propres auteurs, publics, libraires, événements, etc. Ils s'inscrivent dans une culture transmedia : livre, cinéma, jeu vidéo et télévision et donnent lieu à des rassemblements de fans comme la Japan Expo à Villepinte ou les Imaginales à Épinal par exemple. La constitution de cette « communauté » et de son sentiment d'appartenance résulte des interactions qui se développent entre lecteurs. Ce degré de socialisation de la pratique de la lecture est assez rare et spécifique à ces genres littéraires et surtout concentré sur les adolescents et jeunes adultes. Cela éloigne la lecture de l'image de la solitude pour, au contraire, l'inscrire dans les dynamiques des sociabilité amicales.

On peut aussi souligner le fait que ces genres échappent largement à tout processus de scolarisation et demeurent ainsi des terrains vierges et disponibles pour une appropriation collective de la part du jeune public. Leurs parents déplorent généralement la lecture de ces « japoniaiseries » et regrettent qu'il ne s'agisse pas de « vrais livres », de romans, de la « bonne lecture normale ». Ces réactions parentales permettent aux jeunes d'affirmer entre eux l'originalité de leurs références et leur autonomie.

Le rôle des mères est important dans la socialisation à la lecture. Il ne se limite pas à l'encouragement juvénile à la pratique, même si la trace de cette empreinte reste profonde. La relation mère-fille, soutenue par la féminisation de la lecture, relève bien de logique affinitaire, ce que confirment des cas de transmission de la fille vers la mère.

Aussi, la place qu'occupe la lecture dans la relation conjugale peut être forte, il arrive que le livre soit même au fondement du couple. Dans ce cas il réunit les deux futurs conjoints comme un lien émanant de chacun d'eux : on parle alors de « livre de chevet ». Toujours est-il que la féminisation de la lecture crée des situations de déséquilibre en défaveur des femmes qui trouvent moins souvent chez leur conjoint masculin une oreille attentive à leur désir de parler de leurs lectures. Dans certains cas la lecture ne peut pas être partagée. Si l'écoute de la musique ou surtout de la télévision peut être un moment de conjugalisation, ce n'est pas vraiment le cas de la lecture.

Par exemple, moment souvent prisé pour lire, le coucher peut se révéler compliqué. Le sommeil de l'un(e) et la lecture de l'autre peuvent entrer en concurrence.

Lire ne relève pas d'une activité passive. Si le pouvoir du texte existe, celui du lecteur s'exerce également de bien des manières : la lecture ne se résume pas au texte lu. Il faut considérer la lecture comme une expérience dans laquelle le lecteur est occupé dans une activité d'interprétation à partir de ce qui constitue sa propre personnalité. La lecture est un processus dans lequel le lecteur est pleinement engagé.

Que ce soit dans le cadre familial ou dans celui des transports en commun, le livre extrait le lecteur de ce qui l'entoure et signale qu'il ne participe plus pleinement à ce qui se joue dans le monde réel. À présent que l'équipement en smartphone est dominant, on observe une fonction équivalente de la lecture des écrans. L'utilisateur signifie que sa participation réelle au monde est celle qui passe par l'outil et qu'à l'inverse le corps qui est présent au monde réel n'y participe que de façon secondaire. Le livre et l'imprimé ne sont plus le support majeur de cette mise à distance du monde mais continuent de remplir cette fonction. Se divertir du monde peut être aussi se divertir de soi. La lecture opère comme un support souvent exploité par les individus aux prises avec des situations personnelles insatisfaisantes. Les lecteurs trouvent alors une échappatoire et une source de plaisir ou de suspension des sources de leurs soucis.

Mais la quête d'évasion n'est pas que le produit d'un désir de mise à l'écart de la réalité du lecteur. Celui-ci peut apprécier de se plonger dans un autre univers pour le seul plaisir d'étendre son expérience du monde.

On peut penser que la lecture de romans est un des moyens qui facilite la « conversation intérieure », indispensable au soi. Il suffit d'écouter parler des gens qui lisent de temps à autre pour se rappeler que l'imaginaire est une dimension vitale, et que si la lecture n'est pas la seule activité qui y est propice, elle est ici une voie royale.

Enfin, nous pouvons retenir 5 types « d’intérêts de la lectures » :

- la lecture de divertissement qui est une forme élémentaire du besoin de lire, que l’on pratique lorsque nous avons du temps libre, comme un jeu finalement ;

- la lecture d’identification qui est l’expérience ordinaire de la lecture, la plus fréquente, une recherche de reconnaissance de soi ou d’une partie de soi à travers un personnage voire plusieurs, elle occupe une fonction particulière dans la construction de l’identité du lecteur

- la lecture didactique qui vient d’un désir d’apprendre, d’accéder à l’altérité, que ce soit à travers la littérature fictive ou non, elle participe à la connaissance du monde qui se déploie dans l'immensité de son étendue à travers la lecture.

- la lecture de réconfort éthique qui permet d’entrer dans le cadre du jugement moral, de constater la fragilité du monde qui nous entoure et avec lequel nous sommes en lien direct par l’espace commun et les personnes qu’on y côtoie

- la lecture de salut où la lecture devient l’objet d’une dimension centrale de l’identité du lecteur, par la lecture le lecteur peut être et devenir qui il souhaite être ou devenir, ce qui conforte un mode de vie, une éducation (religieuse ou un engagement politique par exemple) et revient à éviter les lectures trop marquées par le divertissement ou la sexualité.

 

Conclusion

Plus que jamais la lecture apparaît comme une notion complexe parce qu'elle se décline de multiples façons, sur des supports de plus en plus variés et remplit des fonctions extrêmement différentes.

La lecture singularise les lecteurs dans une multitude de dimensions, mais elle forme également un support qui rassemble les lecteurs proches ou anonymes.

La pratique de la lecture est en expansion perpétuelle, immortelle tant que la connaissance suffisante existera pour écrire et lire. Bien qu’elle gagne en complexité avec le temps, particulièrement à travers ces divers supports, elle parvient à être en osmose avec chacune de ses époques et à compléter le monde et les individus qui l’habite.